Laurent BOUTIN-NEVEU

laurent.boutin-neveu@lyon.archi.fr
 


Ancien étudiant ALT 

Membre du collectif Ciguë 

Interview 19.02.2021 - 10h












La liberté, valeur fondatrice du DEM ALT




        “Ce qui, à mes yeux, est défendu et fait la richesse du DEM ALT, c’est qu’il s’agit du seul DEM offrant une liberté quasi totale à la fois dans le choix du sujet et du site pour le PFE des étudiants. Avant la refonte des programmes pédagogiques, chaque DEM s’inscrivait vraiment dans une direction, presque dans un dogme aussi, en donnant une direction très précise au diplôme des étudiants, en les inscrivant dans une thématique, dans un programme et dans un site.”
        “L’une des grandes forces de ALT c’est cette liberté – qui est la fois la plus grande de ses qualités et le plus grand de ses défauts, mais qui offre finalement à l’étudiant qui le souhaite de développer un thème qui lui est propre, de l’incarner tant dans le sujet que dans la méthodologie. C’est la liberté de traiter le sujet comme on le souhaite, et ça c’est une liberté qui n’est pas forcément donnée par d’autres pédagogies d’enseignement. Le DEM ALT laisse cette liberté à chacun d’exprimer une pensée architecturale et un projet architectural par les moyens qu’il souhaite.”

        “Le diplôme ALT permet de former des architectes plus en adéquation avec la pratique professionnelle. Aujourd’hui, quand vous montez une structure, quand vous pratiquez l’architecture dans le monde professionnel, à priori (sauf cas précis de concours très normé) vous restez libre de communiquer, de traduire votre architecture comme vous le souhaitez. J’estime que la question de la représentation fait partie intégrante de la liberté qui doit être donnée aux architectes. La liberté, elle n’est pas seulement donnée dans les idées, elle doit aussi être donnée dans la manière dont on les représente, dans la méthode qu’on se donne pour arriver au projet architectural. Finalement, tout cela est cohérent avec la suite du PFE, c’est-à-dire la pratique professionnelle.”


        “La maison d’édition [ndlr : éditions QNDMC, co-fondées par Laurent Boutin-Neveu en 2013] a été créée pendant nos études, l’idée a germé en fin de licence et c’est en début de master 1 que nous avons commencé à constituer l’équipe et à produire un numéro zéro – jamais paru mais qui avait finalement comme objectif de rassurer l’équipe sur sa capacité à produire des choses ensemble. Et c’est typiquement durant le master 2, l’année du diplôme, que nous avons sorti le premier numéro. Aujourd’hui, ALT crée un contexte et un terrain fertile à la création de ce genre d’initiatives collectives, alors qu’à mon époque cela a été fait de manière complètement déconnectée de nos diplômes de fin d’études, de manière déconnectée de toute la pédagogie qu’il y avait dans l’école. Alors qu’en réalité il y avait une richesse intellectuelle et une capacité de production qui était très forte à ce moment-là. Aujourd'hui avec ALT, l’étudiant peut réintégrer dans un diplôme de fin d’études cette démarche-là pour préparer l’avenir. Cette maison d’édition, elle est vraiment née pour nous de cette envie d’écrire, de faire, de produire, d’avoir cette liberté d’initiative collective qui était beaucoup moins présente dans le cadre pédagogique de nos diplômes.”








L’agence Ciguë, née de l’initiative entrepreneuriale de 6 étudiants



        “L’agence Ciguë a été créée à la base sous forme de collectif. L’agence était composée initialement de 6 associés qui venait de l’Ecole de La Villette à Paris, et qui ont créé l’agence quand il était en troisième année de licence. Ne pouvant pas s’inscrire à l’Ordre et créer une agence d’architecture, ils ont créé une agence de menuiserie, qui n’est pas soumise à un Ordre, et c’est seulement après leur diplôme en 2007 qu’ils ont formé l’agence d’architecture avec la capacité de s’inscrire à l’Ordre des Architectes. Et c’était encore une fois une envie de répondre à un manque qu’ils estimaient avoir au cours de leur cursus pédagogique dans les écoles d’architecture, ce manque d’une capacité de faire, de manipuler par soi-même, et de créer finalement un territoire de liberté qui était le leur. On peut assez facilement rattacher cette histoire au DEM ALT : si l’étudiant décide que l’objectif de sa dernière année est de faire, de manipuler plutôt que de dessiner, ALT ouvre le possible à ce champ-là.”


        “L’agence dans laquelle je travaille aujourd’hui s’est construite autour du principe de conception-réalisation : ce qui était dessiné par l’agence était fabriqué par l’agence. Ce désir témoigne peut-être d’une dérive qu’a eu l’enseignement supérieur en architecture à déconnecter la question de la conception de celle de la réalisation. Je parle pour mon cas, mais je pense que c’est quelque chose qui est partagé par beaucoup de personnes : aujourd’hui, quand on sort d’une école d’architecture, notre connaissance sur le faire, sur le milieu de la construction, est quand même assez limitée par rapport à celle qu’on peut avoir de la conception du projet architectural. C’est un enseignement que j’essaye de partager au quotidien dans ma pédagogie au sein des écoles d’architecture : en sachant comment les choses sont faites, qu’on devient meilleur à les dessiner. C’est aussi en pensant les choses ainsi qu’on recrée du lien, un lien naturel, entre la personne qui conçoit et la personne qui construit. Plus cette limite devient poreuse et disparaît, plus les choses se font bien. Et c’est pour moi l’une des richesses de ALT, de donner cette liberté à l’étudiant de se saisir de sa thématique de recherche, et possiblement de ce lien entre le conception et la fabrication.”







Décloisonner les disciplines



        “Il est nécessaire que le champ de l’architecture s’intéresse aux disciplines connexes, et aux champs soit techniques soit créatifs qui l’entourent. L'ingénierie et la technique sont aussi des champs disciplinaires absolument nécessaires et complémentaires de l’architecture, et aujourd’hui l’erreur à ne pas faire serait de rester dans un vase clos. Les meilleurs projets émergent du dialogue entre les architectes et d’autres disciplines. Dans le champ de l’enseignement, je me bats pour cette interdisciplinarité en insistant notamment sur la triangulation enseignement, pratique et recherche que le système académique a tendance à cloisonner. ”







Continuité entre études et vie professionnelle ?



        “Quelque chose qui m’avait beaucoup touché au moment de la mise en place de ALT, c’était cette volonté pédagogique, clairement assumée par le DEM, d’offrir la chance aux étudiants de préparer l’après-PFE pendant le PFE. Je trouvais ça assez beau : on n’est pas en train de faire un diplôme et peut-être ensuite vous arriverez à l’utiliser pour créer autre chose. Ce diplôme, cette dernière année en architecture peut au contraire être dédié à la préparation, à la mise en place, à l’exploration d’une pratique qui pourrait débuter de manière complètement autonome après le diplôme. (...) C’est pour moi un des rôles de l’école de faire le lien entre l'enseignement et la pratique professionnelle, car aujourd’hui l’une des critiques que l’on pourrait faire c’est que la rupture est quand même assez brutale pour les jeunes diplômés qui arrivent en agence.” 

   
        “Je suis assez d’accord avec les personnes qui s’essayent à plusieurs disciplines avant de trouver la leur. J’ai moi-même perçu mon entrée dans le monde du travail avec cette liberté [d’explorer] : il faut se donner le temps de voir des choses qui sont divergentes, qui sont contradictoires. Je suis très heureux de voir des diplômés en architecture partir faire du cinéma ou de la menuiserie chez les Compagnons, pour aller embrasser l’artisanat et ces métiers de la main. C’est ce que ALT permet aussi, et ce que je trouve beau c’est qu’il le permet pendant cette dernière année d’études.”








Une production des étudiants de Master 2 - ALT 20.21