Intervenant ALT
Pionnier du développement durable en architecture et en urbanisme,  co-auteur du manifeste pour une Frugalité heureuse et créative dans l'aménagement des territoires urbains et ruraux
Entretien du 11.02.2021








Le DADDE


“J’ai créé ce département, le DADDE Département Architecture Développement Durable et Équitable, - en 2000. C’est le premier département dans la formation continue dans les écoles d’architecture à s’être intéressé à la question du développement durable. […] Très vite, ça il a été lié à un enseignement interdisciplinaire. L’enseignement du développement durable est un enseignement de l’interdépendance des matières. L’architecture n’est pas seule dans cette histoire, loin de là. […] Nous avons créé ce département DADDE car je n’étais pas totalement satisfait par la traduction de “sustainable development”, je trouvais qu’il était bien d’ajouter “équitable”. J’ai l’impression que dans la notion d’équité il y avait un aspect social qui n’existait pas dans l’idée de développement durable. C’est un enseignement que j’ai développé avec des gens formidables : Gilles Desèvedavy, François Ortis, Christophe Trabet, François Torrecilla, Marc Dauber, Véronique Giorguitti, puis Marine Dupré-Morain. Je pense que je n’ai jamais eu une équipe à ce point de gens singuliers et complémentaires. Ce qui en a d’ailleurs donné la grande richesse à cet enseignement, par ce que les points de vue étaient très différents.”


“La particularité de cet enseignement  résidait dans le fait qu’au sein  d’une même salle d’enseignement il y avait les élèves ingénieurs, les étudiants en architecture, les professeurs de l’INSA, les professeurs de l’ENTPE et les professeurs de l’ENSAL. C’est rarissime et d’une immense richesse. […] Ce n’est pas tant une méthode qu’une certitude : on ne peut pas enseigner aujourd’hui de façon pertinente l’architecture en se cantonnant au seul champ de l’architecture.”






Faire du projet


“La formation en architecture est une formation incroyable. On ne le dit jamais assez. Apprendre à faire du projet n’est pas courant. On vous met en situation de prendre des idées, des matières, des formes, et à fabriquer des situations humaines. Il y a de l’alchimie dans tout ça. Il n’y a pas de méthode, il n’y a pas de manière, il y a juste une capacité à faire ça. Cette capacité à faire projet, à assembler des choses inassemblables, ne sert pas que l’architecture. Nombreux sont ceux formés à l’architecture qui ont fait d’autres métiers. Ce n’est pas un échec. (...) Ce sont vos choix qui vont déterminer l’importance d’une formation ou d’une autre. C’est vous qui allez repousser ou élire telle ou telle voie. Il n’y a pas de fatalité, mais pas du tout.”

“Quand on dit “apprendre par le projet”, on dit quelque chose d’essentiel. Le projet sert à apprendre. Le projet sert à faire et le projet permet d’aller au-delà des simples questions posées. Et pour aller loin il faut être à plusieurs. C’est presque un peu imbécile de dire ça, non ? tant cela va de soi… (…) Dans mes ateliers les étudiants ne travaillent jamais seuls, mais toujours en binômes.”



Un enseignement interdisciplinaire




























Architectes, ingénieurs et double formation


“On passe de l’acte de construire à l’acte de bâtir. C’est ce passage-là que porte la philosophie. Quand on parle de “bâtir” on parle d’architecture, quand on parle de “construire” on parle de bâtiment. Quelque part entre les deux il est nécessaire de faire des ponts. (…)La richesse de la double formation c’est la capacité que vous aurez à penser la société et à savoir bâtir construire pour elle. (...) Je pense que la formation architecte-ingénieur est une grande formation, notamment  à la maîtrise d’ouvrage.”

“Il y a bien sûr l’intelligence de la relation au sein de la maîtrise d'œuvre. Il faut la réalité de l’extérieur de la maîtrise d'œuvre pour que les choses se passent bien. […] Nous sommes toujours attachés à des sujets réels et à des sujets construits. […] Il n'y a rien de mieux, pour mettre ensemble des architectes et des ingénieurs, que de mettre sur la table un objet réel à construire.”

“Architectes et ingénieurs, nous sommes habituées à penser à quelque chose d’abstrait. Le projet a une part d’abstraction, quelques chiffres ou quelques traits sur une feuille de papier. Pour les Compagnons du Devoir ce n’est pas ça. Pour les Compagnons du Devoir le projet c’est un geste de la main, un rapport à la matière. Ça induit très tôt dans le processus du projet l’intégration du geste du chantier. Et ça c’est passionnant. Ça je ne l’avais pas à Lyon, j’ai pu le faire à Rennes.”

















La place de l’expérimentation et du collectif





“Je pense que c'est votre génération qui porte ça, ou en tout cas la génération qui vous a précédé. Aujourd’hui les agences ne se créent plus sous le nom d’un architecte mais sur le fait que des architectes, des ingénieurs, des paysagistes se mettent ensemble pour travailler. Cela fabrique ce que l’on appelle des collectifs. Les collectifs ont effectivement l’envie et le talent pour faire, pour construire, pas seulement pour dessiner et imaginer. J’ai l’impression que votre génération a ce goût là pour la matérialité du monde et pour le fait de s’engager avec le corps dans cette histoire. […] Il y a beaucoup de femmes, dans un milieu qui est assez machiste, paternaliste comme on dit maintenant. Les femmes trouvent leur place en se mettant ensemble justement dans des collectifs. Le collectif des Saprophytes qui est à Lille et le collectif des Bâtisseuses qui est en Île-de-France montrent ça. Elles sont dans l’action physique. Elles font des choses avec leurs mains et avec les jambes. C’est à la fois le corps qui s’implique dans la matière, mais on ne le fait pas seul, on le fait avec les autres - ce qui est aussi un des grands changements. On travaille avec la société, pour la société.”

Travailler avec...



... les milieux


“Les retrouvailles de l’architecture et des “milieux” sont récentes. […]. Ces retrouvailles avec le milieu permettent de comprendre à quel point les engagements des êtres importent. […] Il y a une force de l’attachement au territoire et au milieu, qui est décisive, autorise aussi cette recherche de sens située. Ce n’est pas juste le sens générique. Je peux me balader dans le monde entier et le sens sera là en chaque lieu. Il y a une recherche de sens située.”



... les gens


“Si nous aimons les gens, nous sommes capables d’avoir une bienveillance vis-à-vis de ce qu’ils sont, de là où ils sont et de ce qu’ils attendent de nous. Je crois que c’est aussi quelque chose qui est revenu. […] Ce n’est pas la distance qui importe, ce sont les enjeux de culture. J’aime beaucoup l’idée d’être un étranger bienveillant.”


“J’ai reçu le premier Prix du projet citoyen en 2001 parce que je sais que ne pas travailler avec les gens n’a pas de sens. C’est incroyable que les architectes pensent encore que l’on peut travailler sans les gens. Le travail avec eux est indispensable pour savoir ce que l’on a à faire. J’explique toujours que quand on te donne un programme, on te donne des surfaces, on te donne un budget, on te donne certaines envies de fonctionnalité, on te donne la réglementation qui va avec le programme, mais on ne te dit jamais l’essentiel. Tu ne découvres l’essentiel d’un programme que dans la parole des autres. C’est dans ce sens que la discussion citoyenne, que la co-conception même est indispensable. Tu n’as l’épaisseur du programme pour lequel tu as été invité, que parce que tu as été capable d’entendre les autres. Moi quand j’arrive quelque part, je me tais. La première fois qu’ils me voient, les gens peuvent penser que je ne suis pas loquace, mais c’est parce que je n’ai qu’une envie, c’est de les entendre. […] Il me semble que l’écoute est l’un des outils les plus importants de l’architecture, avant même le dessin. (...)Avec une part universelle, une part archaïque et une part de bienveillance, tu as tous les outils qu’il te faut pour aller faire ce que tu veux, où tu veux, sans blesser les gens, pour découvrir les spécificités.”


“Il y a une chose que je fais à chaque fois : un “diagnostic en marchant”. Au moment où on commence à faire le travail, avant même d’avoir dessiné quoi que ce soit, on invite les gens à marcher avec nous sur le site, et à se parler, pour simplement partager un diagnostic dans le temps long de la marche. Ce dernier nous permet d’entendre ce que tous les gens,  qui connaissent bien ce site parce qu’ils l’habitent, peuvent nous dire sur les différents aspects du site.










































Faire mieux avec moins






“ L’architecte n’est pas un artiste. L’architecte doit avoir des talents esthétiques, des talents sur la fabrication de l’espace, des talents que l’on peut parfois rapprocher de la conception artistique, mais l’architecte doit aussi avoir des talents sur la structure… L’architecte est homme et femme du politique. Notre ville c’est la polis, la politique. Tout notre travail est de cet ordre-là. Notre travail c’est d’apaiser les peurs, de faire en sorte que les gens vivent mieux, seul et ensemble. […] Aujourd’hui l’ambition est de vivre mieux en utilisant deux fois moins de ressources.”


“Il y a dans l’histoire du Club de Rome des rapports qui sont donnés très régulièrement. Il y en a un qui a été rendu public en 1997, qui s’appelle Factor 4. Le sous-titre de Factor 4 c’est “Deux fois plus de bien-être en consommant deux fois moins de ressources”. Trouvez-moi un projet d’avenir plus pertinent. Il n’y en a pas. Le travail qu’on fait, ce sera évidemment pour qu’on vive mieux. […] On va tout faire pour que les gens vivent mieux, et on sait qu’on ne peut y arriver qu’en consommant moins de ressources. Le mouvement de la Frugalité Heureuse et Créative est né de cette certitude que nous - les bâtisseurs - devons absolument être capables de faire mieux en utilisant moins de ressources. […] L’idée n’est pas de faire plus, mais mieux, mieux avec moins. Notre situation d’avenir est là. Si l’on pousse le bouchon jusqu’au bout dans cette histoire, l'on arrive à cette question : « faut-il encore construire ? » À chaque projet, cette question-là doit se poser. Ce qui est certain c’est qu’il faut réhabiliter le monde déjà-là. […] Aujourd’hui l’enjeux, et c’est ce que vous allez faire toute votre vie, vous allez réhabiliter et réparer le monde déjà-là. C’est un magnifique travail. Réhabiliter c’est génial ; du point de vue de la conception ça demande des trésors d’intelligence. Trop “fastoche” de détruire et de reconstruire. Alors que réhabiliter, ça c’est vraiment important.”









Une production des étudiants de Master 2 - ALT 20.21